• Commentaires 0

LE STATUT DE L’EXPERT DE JUSTICE par Jean-François JACOB, Expert de Justice

UN STATUT ?

Avant de parler du statut de l’expert, encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un statut.

Le Petit Robert en donne plusieurs définitions, y compris quelque peu tautologiques. Celle qui convient le mieux à ce que nous sommes et à ce que nous aspirons à devenir, c’est celle-ci : « Un statut est un ensemble de dispositions contractuelles, légales ou réglementaires qui définissent les règles impersonnelles et objectives applicables à une situation juridique déterminée ». La définition d’un statut vaut ainsi et surtout par l’idée qu’on s’en fait.

Les statuts peuvent viser des personnes ou des groupes de personnes, on parlera alors, par exemple, du statut des magistrats plutôt que du statut de la magistrature, ou encore du statut des notaires plutôt que du statut du notariat.

Mais le terme de statut peut également englober les règles qui régissent un type d’organisation et on évoquera alors, toujours par exemple, le statut des établissements financiers ou le statut des chambres de commerce. On se situe là dans le cadre des règles statutaires, des obligations statutaires, voire d’avantages statutaires en droit du travail et plus particulièrement lorsqu’il s’agit des règles de la fonction publique.

Où se situent les experts ? À dire vrai, notre statut n’est pas clair, incertain, soumis à interprétation et il demeure pour beaucoup d’entre nous une incertitude, voire une inquiétude. Et quand je dis « une » c’est un peu réducteur, je devrais dire une réelle incertitude, une réelle inquiétude.

Pour tenter de comprendre les hésitations du législateur sur la place de l’expert dans la procédure il n’est pas inutile d’enfourcher la machine à remonter le temps pour examiner l’évolution de ce statut ou de ce qui en a tenu, tenait, et en tient aujourd’hui lieu. On partira du postulat, qui est dans les textes une réalité, que le juge contrôle l’expertise. Mais, d’évidence, il se décharge sur l’expert des questions techniques qui le dépassent car ce n’est ni sa culture ni son éducation, tout autant qu’il commet l’expert pour obtenir des réponses à des questions de fait qu’une instruction sans expertise ne permettrait pas d’élucider. Toutefois, ce juge veille constamment à l’équité de la procédure, y compris dans son déroulement expertal, et se réserve les questions de droit, y compris celle de la qualification juridique des faits ce que trop d’experts auraient tendance à oublier.

RETOUR VERS LE PASSE :

Le recours aux experts est presque aussi vieux que le monde organisé et il convient de distinguer plusieurs périodes pour tenter de comprendre comment l’on est parvenu à la notion d’expert du juge qui nous caractérise et à laquelle nous sommes très attachés depuis les pratiques de l’ancien droit, voire du très ancien droit.

Dès la période antique, la notion de jugement est apparue consubstantielle à celle de vie sociale organisée. Les Égyptiens, les Hébreux, les Romains, notamment, toutes sociétés normatives, ont recours à ce que l’on peut déjà appeler l’expertise médico-légale pour constater la virginité ou la grossesse d’une femme mais également pour estimer l’aptitude d’un individu à supporter le châtiment corporel, par exemple combien pouvait-il lui être administré de coups de fouet sans qu’il y succombe mais afin que la sanction lui laisse des souvenirs indélébiles.

Le passage de l’expert constatant à l’expert savant :

À cette époque dans ces sociétés, et principalement dans le droit romain, l’expert ne met ainsi aucunement en œuvre une théorie scientifique mais un savoir-faire issu de l’observation et de l’expérience, on peut le qualifier d’expert constatant. Par la suite, on assiste à l’émergence des savoir-faire scientifique dont la validité est de moins en moins attestée par l’experientia mais de plus en plus par l’experimentum.

L’expert constatant du droit romain avait pour mission principale la pratique des mesures d’évaluation. L’ancien droit français avait fait sienne, et avait élargi, cette conception de l’expertise et les domaines privilégiés d’intervention du technicien étaient les servitudes, l’arpentage des terres, la balance des héritages, le bornage, les écritures, et toujours la médecine.

Jusqu’à la première moitié du XVIe siècle, à l’exception des médecins et des chirurgiens, l’expert est une personne qui dispose d’une compétence particulière, laquelle l’habilite à délivrer un avis auquel la population dans l’ensemble de sa diversité sociale accorde un crédit certain car les experts sont, en vieux françois, des « gens à ce connoissans ». L’évolution, directement dépendante de celle de la société, favorise le passage d’un expert constatant à un expert savant.

Cela a été souligné par les philosophes, nous sommes en face d’un modèle rationaliste qui va évoluer vers un modèle empiriste selon lequel il ne suffit plus de s’arracher à la caverne pour faire un constat mais pour étudier et expérimenter. Du « il fait jour, il fait nuit, les arbres poussent » on passe au « pourquoi fait-il jour, pourquoi fait-il nuit, pourquoi les arbres poussent ».

L’expert savant apparaît ainsi à la suite d’un glissement vers une autre conception de l’expertise dans laquelle l’expert ne se borne plus à opérer un constat mais il doit mettre en œuvre une démonstration affirmée et validée par l’utilisation d’un savoir constitué. L’expert devient celui qui possède ce savoir, ce qui ne suppose pas, ou plus, l’apprentissage par une pratique personnelle. La figure illustrative de l’expert arpenteur connaît une modification et un remaniement progressifs, la trilogie : « honnête homme, expérience et local » cède la place à une nouvelle épure dont les piliers sont : « savant, fait et science ». Par exemple, l’ordonnance de Blois du 1er mai 1579 exigeait que les médecins acquièrent un savoir certifié par la faculté de Paris, déjà le centralisme, pas très démocratique ! Ainsi, la légitimité de l’expert découle non seulement de son savoir mais également du fait que sa probité soit certifiée par des : « gens de foy, bons preud’hommes ».

Le passage d’un expert qui se borne à constater des faits et à les confronter à son expérience personnelle vers un expert qui énonce des faits au moyen d’un corpus de connaissances qu’il maîtrise doit être replacé dans une évolution plus large relative aux modes d’établissement de la vérité.

Deux conceptions doivent alors être mises en parallèle :

Au sein du procès, l’expert s’est mué d’homme expérimenté en savant. Les mécanismes d’établissement du vrai ont progressivement évolué du témoignage d’hommes dignes de foi relativement à ce qu’ils ont vu à une propriété intrinsèque de l’énoncé scientifique. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle, en Angleterre, la véracité des données scientifiques était attestée par des personnes qui avaient assisté aux expériences. Il était alors indispensable que leurs relations et narrations soient régies par un code d’honneur qui faisait d’eux des gentlemen. Le statut de ces derniers, bien établi, imposait le respect de normes strictes de comportement notamment articulées autour de l’absolue nécessité de dire la vérité. Ainsi, cette conception de la preuve expérimentale se caractérise par trois obligations : L’engagement personnel de l’expérimentateur, La validation par le témoignage de gens dignes de foi, La répétition pour approcher, voire atteindre, la certitude.

La société évolue sans cesse et les mécanismes de la vérité se déplacent. Le XVIIIe siècle est marqué par le développement d’une exigence d’exactitude : les énoncés doivent être, autant que possible, en adéquation avec les prédictions universelles issues de la science et des théories. La science devient de plus en plus exacte, la vérité d’un énoncé ou d’une constatation n’est plus attestée par des gentlemen mais elle doit être la caractéristique de l’énoncé lui-même

Ainsi, le passage de l’expert constatant à l’expert savant prend un tout autre sens lorsque l’on se rapproche de l’histoire sociale des procédés d’établissement de la vérité. Il importe moins d’être un gentilhomme qu’une personne habile, dotée d’un savoir particulier, capable de reproduire et de répéter les opérations constitutives de l’expérimentation. Ne dit-on pas, encore de nos jours, que l’expert est : « un parmi les plus habiles » ? J’ajoute que la mission confiée à l’expert n’a été que très progressivement précisée par l’affermissement lui aussi très progressif des fonctions du juge.

L’EVOLUTION DU DROIT DE L’EXPERTISE : Cette évolution du droit de l’expertise judiciaire s’est d’évidence déroulée en plusieurs étapes.

Le texte précurseur, à défaut d’être fondateur, de la codification de l’expertise et de ses grands principes, c’est une ordonnance civile d’avril 1667 qui fixe : La procédure d’expertise, Les délais de comparution, Le choix des experts, Les moyens de récusation, Le contenu et l’étendue de la mission. À y regarder encore de plus près, on découvre que du fait de cette ordonnance, l’expert apparaît comme le véritable mandataire des parties, ce qui n’était pas véritablement satisfaisant : mandataire est-il synonyme d’expert ?

Consacrée dans le Code Napoléon, la loi du 14 avril 1806, appelée également le « code des chicaniers », pose les fondamentaux du droit de l’expertise judiciaire dont le déroulement est pour la première fois codifié. Applicable dès le 1er janvier 1807, cette loi s’inspire de l’ordonnance civile de 1667 et consacre 21 articles à l’expertise proprement dite.

Les grands principes, appelés à une longue vie, y sont déclinés :

  • Le caractère facultatif de l’expertise décidée de façon discrétionnaire par le juge,
  • La règle selon laquelle le juge n’est pas lié par l’avis de l’expert,
  • La nécessité d’un unique rapport nonobstant la désignation de plusieurs experts,
  • Le principe de la rémunération de l’expert après le dépôt du rapport et de sa taxation par le juge.

À cette époque, le juge ne doit se fonder pour taxer les honoraires de l’expert que sur le seul critère du temps passé et aucunement sur la complexité de l’affaire, la difficulté du dossier et la qualité de l’expert. Il faudra attendre 60 ans afin que l’on s’en soucie, un décret du 27 décembre 1927 viendra combler les lacunes.

Dans ce code de procédure civile de 1806 applicable en 1807, l’expertise reste d’inspiration accusatoire car les experts sont choisis en priorité par les parties. En effet, l’expertise est réputée ne pouvoir être réalisée que par trois experts, sauf à ce que les parties décident de n’en choisir qu’un seul. Aucun délai n’est imposé par le Code de procédure civile aux experts, ou au seul expert, judiciaires pour remplir la mission. La stricte application de ce principe par les experts qui y voient
15
une variable commode d’ajustement de leur plan de charge professionnel ou personnel ou social va puissamment contribuer à la lenteur des procès tout autant qu’à l’hypertrophie du pouvoir des experts. Il fallait s’y attendre, cette place grandissante jusqu’à devenir prééminente des experts judiciaires dans le rendu de la justice à la fin du XIXe et au début du XXe siècles va pousser les pouvoirs publics à réagir.

Vers le collaborateur du juge : Cette réaction va favoriser, même si ce n’était pas son but premier, le rapprochement du juge et de l’expert lequel va devenir le collaborateur du juge.

La volonté des pouvoirs publics se découvre avec l’établissement des premières listes d’experts en 1880. C’est la grande époque de la construction et de ses errements, les premières listes sont donc celles des ingénieurs et des architectes. En 1885, elles sont complétées avec celles de teneurs de livres, des joailliers et des médecins. À compter de 1900, progressivement, d’autres listes sont constituées, notamment celle des géomètres.

Le fait de figurer sur une liste n’éteint ni les critiques ni les controverses sur la compétence des experts, récriminations particulièrement intenses entre 1914 et 1960.

Le début du XXe siècle, donc, voit apparaître, en compagnie des grands principes fondamentaux d’une bonne justice, la notion du service public et un frein est alors apporté au caractère accusatoire de l’expertise judiciaire, ce qui va être concrétisé par plusieurs textes : Le décret-loi du 30 octobre 1935 instaure un juge chargé de suivre la procédure lequel : « sans diriger l’instance exerce sur elle un contrôle effectif de tous les instants ». Comment ne pas voir là le portrait-robot du juge chargé du contrôle ? On était en 1935 !

Mais cette instauration d’un juge spécialisé ne calme pas les ardeurs de ceux qui s’émeuvent des libertés accordées aux experts. La loi du 15 juin 1944, intervient tout autant dans une période particulière que dans un contexte permanent de contestation des experts. Elle est orientée dans deux directions : Identification et limitation plus stricte des missions. Afin d’éviter toute immixtion de l’expert dans le rendu de la justice, car la vérité scientifique n’est pas synonyme de vérité judiciaire, la mission confiée à l’expert ne pourra porter que sur des questions exclusivement techniques ; Simplification et accélération de la procédure d’expertise. De façon à lutter contre les lenteurs chroniques de la procédure d’expertise judiciaire, le juge ne pourra plus désigner qu’un seul expert auquel il impartira des délais pour accomplir la mission. La nature ayant horreur du vide, dans les faits et corrélativement, le contrôle de l’expert par le magistrat est accru.

De plus en plus proche du magistrat, sous son contrôle, l’expert quitte son habit de mandataire des parties, devient l’auxiliaire du juge, ou plutôt son collaborateur occasionnel. 63 ans plus tard, ce statut est confirmé par un arrêt en date du 10 septembre 2009 de la 2e chambre civile de la Cour de cassation qui déclare : « Attendu qu’en effet l’expert considéré comme un collaborateur occasionnel du juge est investi de ses pouvoirs par celui-ci et ne peut être choisi que par lui dans un litige donné… ». Cette qualification n’est pas neutre dans la définition du statut de l’expert. Il y a lieu de bannir le terme d’auxiliaire qui suppose une permanence dans le système accusatoire et de privilégier le terme de collaborateur occasionnel qui fait davantage référence au système inquisitoire qui est le nôtre.

L’expert du juge : La consécration de ce statut qui fait communément de l’expert le collaborateur occasionnel du juge intervient entre 1970 et 2004. 1971 est la grande année de l’expertise à la française ponctuée par deux événements majeurs : l’arrêt Aragon qui sera utilement mis à profit par la justice administrative et la loi du 29 juin 1971 qui préfigure celle de 2004.

Cette loi du 29 juin 1971 est un texte que l’on pourrait qualifier de fondateur s’il ne puisait ses racines dans le passé. Elle apporte beaucoup de cohérence au système mais elle devient rapidement obsolète, la société se transforme très rapidement, la marche de la justice n’est pas toujours synchrone. Deux mots pour dire que parmi les concepteurs et les réalisateurs de cette loi figuraient principalement le garde des sceaux Jean Foyer, le doyen Gérard Cornut mais également le président de la Fédération nationale des compagnies d’experts de justice d’alors Eugène Sage. Nous étions déjà attentifs à tout ce qui concernait les experts judiciaires ! Les apports majeurs de la loi étaient la consécration des listes établies certes depuis 1880 mais d’une manière quelque peu anarchique, et la protection du titre d’expert judiciaire.

Dans le mouvement initié par cette loi, des Codes sont élaborés et de nouvelles idées essentielles apparaissent telles que :

  • La charge de la preuve : si le procès reste la chose des parties le Code civil impose au demandeur de rapporter la preuve de ce qu’il allègue. En effet, l’article 10, tel qu’il est issu de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 dispose que : « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ».

L’extension des pouvoirs du juge

En revanche, la responsabilité de l’expert devient trop lourde et l’on ne peut que regretter la frilosité des juridictions judiciaires alors que les modalités retenues par le Conseil d’État après l’arrêt Aragon protègent mieux les experts qui sont dans l’exercice de la mission confiée par une juridiction administrative des collaborateurs occasionnels du service public de la justice.

LE TEMPS DE L’INCERTITUDE : Ce Code de justice administrative a été réformé et modernisé par un décret du 22 février 2010, suite aux travaux préparatoires de la commission dite Chabanol du nom du conseiller d’état qui la présidait. Il introduit d’importantes dispositions nouvelles qui permettent aux experts de concilier les parties (ce qui était le cas au civil jusqu’en 1971), de demander des extensions de mission, de solliciter la mise en cause de nouvelles parties, de décider après un délai de deux mois de l’intérêt de nouvelles mises en cause.

Le droit pénal, quant à lui, a introduit la notion de progressivité en matière de contradiction, ce qui est une rupture franche et nette par rapport au passé récent.

Le droit européen s’est développé sans que le juriste civil hexagonal s’en rende compte. Il peut en résulter une certaine insécurité juridique eu égard aux règles du procès équitable et de la notion d’égalité des armes, ce qui va à l’encontre de deux idées : Le procès n’est plus un combat judiciaire, le doyen Cornut cité supra ne cessait de vitupérer sur ce sujet par écrit et verbalement contre la Cour de Strasbourg, L’évolution vers le tout accusatoire et les risques de dérive vers la cross examination anglosaxonne où l’expert ne joue plus que le rôle d’un simple témoin. Nous sommes, vous le comprenez aisément, résolument contre.

Les textes en vigueur : La loi du 11 février 2004 et le décret d’application du 23 décembre 2004 régissent actuellement le système de l’expertise. Or, comme l’a rappelé le rapport de la commission Bussière/Autin (dans laquelle le Conseil national était représenté par Dominique Lencou pour le chiffre, Michel Chanzy pour la médecine et moi pour l’ingénierie et la construction), selon ce rapport donc, le statut de l’expert judiciaire tel qu’il résulte de la loi ne constitue pas au sens strict un statut professionnel même si le titre d’expert judiciaire et son usage sont protégés par la loi.

Dans le système français, l’expert judiciaire, qui exerce par ailleurs sa profession (comptable, médecin, ingénieur, architecte, autre) est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public de la justice à l’administratif pas au judiciaire. Le Conseil national et les compagnies, parmi lesquelles la vôtre, ne revendiquent pas la reconnaissance d’une profession réglementée – elle renvoie à un passé encore lourd – mais un peu de clarté dans un statut particulièrement flou duquel on peut toutefois extraire des obligations et des droits.

On peut citer :

  • L’inscription sur les listes avec : Le serment – La période probatoire -La réinscription quinquennale
  • Les obligations : L’acceptation de la mission -L’accomplissement personnel de la mission -L’impartialité et l’indépendance -Le respect des délais- La loyauté- Le rendu des comptes -La communication du rapport aux parties
  • Le principe de la contradiction : Son application-L’obligation de convoquer les parties- Son respect constant par l’expert comme par les parties -Les rares dérogations
  • Les sanctions : La nullité de tout ou partie de l’expertise- La responsabilité, disciplinaire, civile, pénale

Les prérogatives : Les informations auprès des tiers- La communication avec les parties -La dématérialisation

L’expert et le système à la française

Dans le procès à la française, le débat scientifique et technique se déroule devant l’expert alors que dans le procès anglais ce débat a lieu devant le juge et l’on voit immédiatement les conséquences d’un tel système, celui qui mobilise les meilleurs conseils bénéficie d’un avantage certain. La formalisation de l’ensemble des règles relatives à la réalisation de l’expertise à la française justifie l’obligation pour le juge de recourir à un expert en qui il aura confiance car il est libre de désigner toute personne de son choix.

En effet, à l’évidence, le juge ne saurait désigner comme expert pour réaliser une mesure d’instruction une personne qui n’aurait pas la compétence professionnelle et/ou le sérieux indispensable pour l’accomplir d’une part, qui ne présenterait pas toutes les garanties d’objectivité et d’impartialité requises de tout technicien comme de tout juge d’autre part.

Depuis la loi du 23 février 2004 qui a vu la confirmation de l’expert comme expert du juge, le système fonctionne assez bien mais il reste imparfait. Il faut espérer que les préconisations du groupe de réforme de l’expertise, auxquelles nous avons activement contribué, soient appréciées et mises en œuvre. Car, face au danger de la remise en cause d’un système élaboré depuis l’antiquité et dont les péripéties successives ont été pesées pour parvenir aux textes actuels, il importe d’écarter les velléités de glisser vers un système anglo-saxon éloigné de notre culture.

Les évolutions communautaires : Un grand vent a soufflé récemment sur notre système (affaire dite Penarroja). Vous avez tous lu l’histoire de ce traducteur catalan refusé d’inscription sur les listes françaises, Montpellier et Cour de cassation, qui a présenté sa requête à la Cour de justice européenne, laquelle a rendu un arrêt qui constatait que la législation française contrevenait au droit européen et le corollaire immédiat fut la demande de suppression du système français des listes. En clair, la moitié, sinon plus, des experts de justice français risquaient de ne plus exercer en raison du principe de libre concurrence.

Lors de l’audience du 15 septembre 2010 à la Cour de Luxembourg, le représentant du gouvernement français s’est engagé à réformer le droit français pour le mettre en harmonie avec le droit européen. Le même jour, le Conseil national a entrepris une réflexion visant à faire des propositions aux pouvoirs publics afin de sauvegarder le système français de liste des experts du juge. Notre action a été utile, l’arrêt du 17 mars 2011 de la Cour de justice de l’union européenne a rassuré les experts, le système des listes est sauvegardé. Il a ensuite appartenu à la 2e chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 29 septembre 2011, d’annuler les décisions de refus prises par l’assemblée générale des magistrats de la Cour d’appel de Paris ainsi que par le bureau de la Cour de cassation, au motif que Monsieur Penarroja ne connaissait pas les motifs de son refus d’inscription et n’était pas alors en mesure de pouvoir exercer un recours juridictionnel effectif. Si, au vu de ces décisions, le système français de listes n’apparaît pas remis en cause il devra cependant s’adapter.

L’indispensable clarification : Nous avons la ferme volonté de clarifier un système imparfait,dans le cadre de l’harmonisation de la législation française avec le droit européen. La détermination de critères objectifs et non discriminatoires constitue la nécessité de définir un statut de l’expert en répondant à deux questions de fond : Pourquoi sommes-nous inscrits sur des listes ? Qui sommes-nous ?

Nous ne réclamons pas de devenir une profession réglementée mais nous souhaitons de la clarté dans notre statut afin d’éviter des situations compliquées :

  • Sur le plan fiscal : peut-on devenir des salariés de la justice ?
  • Sur le plan social : quels avantages, quels désavantages ?
  • Sur le plan de la responsabilité : l’obligation d’assurance.

En matière de rémunération, vaste problème !

La proposition de loi n° 3740 : C’est dans cet esprit que le professeur Olivier Jardé, député de la Somme, président de la compagnie des experts près la Cour d’appel d’Amiens, a déposé une proposition de loi n° 3740 qui vise à reconnaître un véritable statut aux experts, par, notamment :

  • Un tronc commun aux experts intervenant en matière civile, pénale ou administrative
  • Une définition de l’expert
  • La définition de critères de sélection objectifs et non discriminatoires
  • La définition de la rémunération et de ses modalités

La définition d’une responsabilité de droit commun avec la fin d’une insécurité juridique sur le point de départ de la prescription.

Il importe de décliner ici les principes visés par la proposition de loi :

En matière civile la nécessité de confirmer par décret le système d’inscription et de réinscription,

En matière pénale le système doit évoluer vers une définition de l’expert collaborateur du service public de la justice et sa protection à tous les stades de la procédure,

En matière administrative, il s’agit de mettre en concordance le statut avec les besoins des juridictions administratives en maintenant les particularités empreintes du réalisme administratif et les besoins spécifiques

Ce qui se traduit notamment par l’obligation de repenser les critères de sélection en fonction :

  • Des besoins des juridictions,
  • De la compétence et son appréciation,
  • De l’éthique,
  • De l’intérêt manifesté pour la collaboration au service public de la justice,
  • des moyens disponibles.

Notre préoccupation va également, et de manière particulièrement aiguisée, vers la mise en ordre du statut fiscal et social par l’abrogation des dispositions relatives aux experts dans la loi du 23 décembre 1998 et son décret d’application du 17 janvier 2000 qui sont totalement inapplicables. Sur ce point, il faut en effet constater qu’il ne peut exister de lien de subordination entre le juge et l’expert, lequel doit rester indépendant.

La rémunération, puisque c’est en grande partie de cela dont il s’agit, rencontre deux difficultés. Il faut tout d’abord se poser la question de la fréquence et de l’urgence des interventions en matière pénale qui incite parfois pour des raisons de coût à privilégier les services de l’État, ce qui pose ipso facto le problème de l’impartialité et de l’indépendance des dits services, par exemple les gendarmes qui doivent soumettre leur projet de rapport à leur hiérarchie. Autre exemple qui touche à la compétence, le projet de remplacer les psychiatres éprouvés par des psychologues en fin de cursus universitaire. Il faut également se poser la question des délais de règlement et du montant des expertises tarifées, le Conseil national est actif sur ces questions, mais il faut vaincre de nombreuses réticences.

La responsabilité de l’expert est de droit commun avec une causalité indirecte et la jurisprudence retient trois conditions : Le jugement est passé en force de chose jugé, La faute commise a déterminé la décision du juge, Ni le juge, ni la partie lésée, n’a eu la possibilité de la déceler, cette faute, et donc de la rectifier, au cours des débats postérieurs au dépôt du rapport. Il subsiste une difficulté sur le point de départ de la prescription depuis l’abrogation de l’article 6-3 de la loi de 1971 qui créée une véritable insécurité juridique. Dans les conditions extrêmes on pourrait encore vous rechercher en responsabilité dix, quinze, voire vingt ans après le dépôt du rapport.

Cette proposition de loi devait être examinée par la représentation nationale le 26 janvier 2012, le débat a été repoussé après les élections majeures qui se profilent à très bref horizon. Nous ne craignons pas ce report, il n’est pas synonyme d’enterrement de première classe, le projet est acté, il sera débattu. Quelles seront les conséquences du décret du 20 janvier 2012 relatif à l’expertise participative sur le statut en devenir de l’expert tel qu’il est envisagé par la proposition de loi n° 3740, il est trop tôt pour le dire. Cette expertise participative ressemble fort à une sorte de contractualisation sous certaines conditions et fait immédiatement penser à l’expertise à l’anglosaxonne, soyez assuré que le Conseil national ne reste pas inactif. D’autant moins que les Anglais eux-mêmes commencent à considérer le système français et à lui trouver beaucoup de pertinence en termes d’égalité des armes.

En conclusion… provisoire :

Notre système est à la croisée des chemins.

Le contentieux européen vient de démontrer que des ressortissants de l’Union européenne envient le titre d’expert près une Cour d’appel ou agréé par la Cour de cassation afin de réaliser des expertises qui semblent avoir des fondements éloignés du service public de la justice et trop proches de la volonté de disposer d’une carte de visite.

La Cour de justice de l’Union européenne invite la France à harmoniser sa législation avec le droit européen en donnant davantage de clarté à la sélection sur les listes ou les tableaux et en motivant les décisions.

Le Conseil national et les compagnies ne restent pas inertes, votre présence et l’inscription de ce thème à votre journée de formation le démontrent amplement.

La reconnaissance d’un statut n’implique pas forcément la reconnaissance d’une profession réglementée mais s’accompagne des droits et des obligations qui sont des garanties de qualité. N’oublions jamais que nous devons constamment mériter la confiance du justiciable, c’est aussi par nous, et grâce à nous, que le citoyen se réconciliera et appréciera positivement notre système de justice et qu’ainsi nous le défendrons, nous y sommes directement intéressés à tous les sens du terme.

par Jean-François JACOB

Ingénieur EPT DEA économie et aménagement de l’espace

Expert Près la Cour d’Appel d’Aix-en Provence

(article du 13 avril 2012 débattu lors du 5ième colloque de la compagnie des experts près la Cour d’appel de Reims)

 

0 Commentaires

Laisser un commentaire